Un proverbe marocain affirme que « les gens pressés sont déjà morts ». Fidèle à cet adage, le tajine, plat emblématique de la cuisine maghrébine, est un éloge à la lenteur.
Un art de laisser exhaler sucs et fumets, et confire pendant des heures viandes ou poissons dans de vieux pots. Le mot berbère « tajine », dérivé, comme le « tian » provençal, du grec « têganon » qui signifie « plat en terre », renvoie autant à la recette marocaine qu’à l’ustensile de cuisson, une sorte d’assiette creuse en argile, surmontée d’un couvercle conique, qui n’est pas sans rappeler un chapeau de sorcière.
Or il y a quelque chose de magique dans la préparation, d’une simplicité merveilleuse. Il suffit de placer les ingrédients de son choix dans cet étrange faitout, de poser celui-ci directement sur la braise, et enfin de s’armer de patience. Le charme va opérer. Lentement. Pas besoin d’eau, de matière grasse ou autre artifice : les vapeurs dégagées par la cuisson à feu doux montent le long du cône en terre cuite, puis retombent au fond du plat, humectant les aliments…
Et, abracadabra, les chairs deviennent fondantes, les saveurs gagnent en puissance et se marient avec grâce, les pruneaux ou les dattes avec l’agneau, les citrons ou les olives avec le poulet, les œufs ou les tomates avec les « kefta » (boulettes de bœuf). Sans oublier, bien sûr, ces épices orientales – safran, gingembre, poivre, coriandre, cannelle, cumin… – qui enchantent le tout. Certaines prêtresses de la gastronomie marocaine ajoutent même quelques larmes de miel.
Le tajine aurait été inventé par les berbères bien avant notre ère. Pour ce peuple nomade, quoi de mieux qu’un ustensile à la fois plat de cuisson et plat de service ? Dans un pays où l’eau douce est rare et précieuse, ce pot de terre permet de cuire à l’étouffée tout ce qu’offre le terroir : légumes de saison et fruits secs, avec des poissons sur les côtes – comme à Safi, Essaouira ou Agadir – ou des viandes dans l’arrière-pays et les montagnes de l’Atlas.
Ce ragoût convient aux bouis-bouis comme aux restos chics. Il est l’emblème de l’hospitalité marocaine. Quelle que soit la recette, le rituel, lui, ne change pas : on retire le plat du feu pour le disposer sur une table basse, et les convives piochent dedans à la main, avec du pain. Tel est peut-être le plus beau sortilège du tajine : sa convivialité.
Autrefois uniquement en terre cuite, les plats à tajine sont désormais réalisés dans différents matériaux pour convenir à tout mode de cuisson dont l'induction. Outre donc la terre cuite, vous retrouverez dorénavant des tajines en porcelaine, en verre, en fonte d'acier ... Le tout pour convenir au plus grand moderne et conserver ce plat traditionnel malgré l'époque moderne dans laquelle nous nous inscrivons.